Le 15 mai 2025, la Fondation Jung a décerné sa médaille d’or pour la médecine au Professeur Hervé Fridman, en reconnaissance de ses contributions majeures dans le domaine de l’immuno-oncologie. Ce professeur émérite à l’Université Paris Cité (Centre de recherche des Cordeliers) est l’un des fondateurs de l’immunothérapie moderne. Lors de la cérémonie, le Professeur Fridman a prononcé une conférence intitulée « De la réponse immunitaire à la guérison : comment l’immunothérapie change la vie des patients atteints de cancer ». Il y a souligné l’importance d’une approche élargie de l’étude du microenvironnement tumoral, tout en insistant sur le rôle essentiel des collaborations internationales et de la transmission du savoir aux jeunes chercheurs. Dans l’entretien qu’il nous accordé au Centre de Recherche des Cordeliers, quelques jours avant son départ pour Hambourg, il est revenu sur les bouleversements apportés par l’immunothérapie et partage sa vision des défis scientifiques à venir.

© Centre de Recherche des Cordeliers
À une époque où peu de chercheurs croyaient au rôle du système immunitaire dans le traitement du cancer, vous faisiez partie des pionniers. Aujourd’hui, si vous deviez miser sur un nouvel axe de recherche, lequel serait-il ?
Professeur Fridman : Je peux vous dire sur quoi je travaille actuellement. C’est un sujet sur lequel nous avons un article en révision, donc j’espère qu’il aboutira bientôt. Il prolonge une réflexion que j’ai amorcée dans un livre intitulé “Le système immunitaire, le cerveau mobile”. J’y décrivais le système immunitaire comme un « cerveau mobile », capable, comme le cerveau, de reconnaissance, d’apprentissage et de mémoire. J’ai eu la chance, pendant ce demi-siècle, d’assister à l’émergence de l’immunologie moderne et à sa reconnaissance comme un grand système d’homéostasie, impliqué dans toutes les pathologies qu’elles soient évidentes ; les maladies infectieuses et auto-immunes ; ou non ; comme dans ce qu’on peut appeler des maladies de système : les maladies neurodégénératives, l’obésité jusqu’au cancer.
Dans l’organisme, il existe deux autres grands systèmes d’homéostasie : le système endocrinien et le système nerveux central. Ce dernier, longtemps considéré comme « central », est en réalité aussi périphérique : il est présent dans tous les organes, y compris les tumeurs. Avec les outils du XXIe siècle, nous sommes capables d’analyser ces systèmes complexes de façon fine, en situation physiologique et pathologique. Je suis très admiratif et ouvert à toutes les nouvelles technologies et c’est cette complexité que nous devons explorer.
Pendant longtemps, on a regardé deux cellules, un lymphocyte et une cellule tumorale, un neutrophile et une bactérie. Aujourd’hui, je crois profondément que ce dialogue entre systèmes complexes va ouvrir des pistes insoupçonnées et transformer la pratique clinique.
Le profil immunitaire des patients semble aujourd’hui essentiel pour comprendre leur réponse aux traitements. Pensez-vous que cette stratification va devenir une étape incontournable dans les décisions thérapeutiques ?
Professeur Fridman : Oui, je pense qu’à terme, on y viendra. Pendant longtemps, la cancérologie s’est appuyée sur deux paradigmes : d’une part, chaque type de cancer a ses spécificités ; d’autre part, il faut agir sur la prolifération et la capacité métastatique des cellules tumorales. Mais depuis une quinzaine d’années, avec l’entrée de l’immunité dans le champ thérapeutique, un changement de paradigme s’impose.
Il ne s’agit plus seulement de s’intéresser aux cellules cancéreuses, mais de permettre au système immunitaire de jouer son rôle : le déverrouiller, le moduler pour qu’il contrôle la tumeur. Et cela peut être valable indépendamment du type histologique du cancer.
Un exemple clair est celui des cancers présentant des instabilités microsatellitaires (MSI), dues à des défauts des gènes de réparation de l’ADN. Ces défauts génèrent des néo-épitopes, reconnus par le système immunitaire. Dans les cancers du côlon MSI, traités par immunothérapie avant chirurgie, 100 % des patients répondentEt on retrouve ces MSI dans d’autres localisations : estomac, col de l’utérus… C’est pourquoi la FDA a validé ce premier marqueur prédictif de réponse à l’immunothérapie, indépendamment du type de cancer. […] Lorsque les technologies seront pleinement accessibles, cette stratification fera naturellement partie des décisions thérapeutiques. Et c’est déjà en train de changer : des approches non invasives permettent désormais d’évaluer l’immunité sans avoir à retirer la tumeur, et l’intelligence artificielle couplée à l’imagerie pourra bientôt prédire le type de cancer, mais également son profil immunitaire et guider les traitements. Je suis très admiratif et ouvert à toutes ces nouvelles technologies.
Justement, avec l’essor de la bioinformatique et de l’intelligence artificielle, ces approches pluridisciplinaires bousculent peu à peu notre vision de la biologie et des traitements. Selon vous, comment ces outils pourraient-ils s’intégrer concrètement dans nos pratiques? À quelles étapes pourraient-ils intervenir, notamment en lien avec la stratification des patients?
Professeur Fridman : C’est très difficile à prédire, puisqu’on est encore au balbutiement de tout ça. Mais il y a une rencontre nécessaire entre les disciplines. Par exemple, un spécialiste allemand de l’intelligence artificielle, Jakob Kather, a fait un très joli travail, dans lequel il montre qu’il pouvait prédire par IA les cancers du côlon MSI. Je lui ai demandé : « Sur la base de quoi ? » Il m’a répondu : « Je ne sais pas. » Ils utilisent des millions de données, comme pour distinguer un chat d’un chien, et parviennent à des résultats, parce qu’en amont les biologistes auront dit : « Ça, c’est un MSI, ça, un MSS, un lymphocyte, un macrophage…» Et l’IA apprend à les reconnaître, mais sans vraiment comprendre ce qu’elle voit. En face, on a des biologistes, des imageurs, des cliniciens, qui savent ce qui fait sens, ce qu’est une organisation tissulaire, etc., mais qui ne maîtrisent pas encore ces outils complexes. Il y a donc aujourd’hui un vrai dialogue qui s’installe entre ces deux communautés.
Aujourd’hui, vous recevez la médaille d’or de la Fondation Jung, qui vient saluer l’ensemble de vos contributions scientifiques. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Professeur Fridman : C’est toujours agréable de recevoir un prix. […] Mais je ne considère pas que c’est une étape ou un moteur. Et puis ce prix, ce n’est pas que symbolique : il y a aussi un financement pour un jeune chercheur. C’est précieux, surtout aujourd’hui. Je trouverai quelqu’un à qui cela pourra vraiment servir. Il faut profiter de ces moments-là. On va tous bien s’habiller, écouter les discours… Ce sera une parenthèse plaisante.
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